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La cité de Pégase

Amos avait raison, Aélig et lui étaient vraiment encerclés. Partout autour d’eux, des dizaines de formes tournoyaient dans les airs. Le garçon pensa tout de suite aux harpies. Elles devaient être revenues en plus grand nombre pour se venger et reprendre Aélig. Le porteur de masques murmura alors à l’oreille de l’icarienne :

— Ne t’inquiète pas, personne ne te fera de mal.

Il s’éloigna d’elle. Quelques arcs claquèrent. En utilisant ses pouvoirs sur le vent, Amos s’enveloppa d’un tourbillon d’air et fit dévier les cinq flèches qui lui étaient destinées. Afin de bien voir ses ennemis, il fit apparaître une colonne de feu qui s’éleva comme le jet de flammes d’un dragon. Une dizaine de créatures volantes, armées de puissants arcs, furent aveuglées par l’intensité du brasier. Profitant de quelques secondes de répit, le garçon ordonna à l’eau de se joindre à la bataille. Deux grands tentacules liquides sortirent alors de la mer et s’emparèrent, comme une pieuvre attaque ses proies, de deux archers volants qui firent un prodigieux plongeon dans l’eau salée. Ils étaient hors de combat.

« Plus que huit, maintenant ! » pensa Amos.

D’un mouvement de bras, le porteur de masques créa une bourrasque descendante dans laquelle s’empêtrèrent les ailes de trois autres ennemis. Ces derniers s’écrasèrent dans les arbres en poussant des cris d’effroi.

— Attention, sales harpies ! les menaça Amos. Je commence à peine à me réchauffer !

D’un élan, il fit un splendide bond dans les airs et attrapa la jambe d’un ennemi. Trois flèches sifflèrent tout près de lui, mais sans l’atteindre. Amos enflamma les plumes de son adversaire avant de relâcher sa prise et de culbuter sur la plage. Dans un rapide mouvement, il saisit deux torches et, dans une roulade digne d’un acrobate de cirque, les lança au visage de ses attaquants. À ce moment, Aélig hurla :

— ARRÊTE, AMOS ! CE SONT DES ICARIENS ! CE SONT MES SEMBLABLES !

Déconcentré, le garçon eut alors un moment d’hésitation et la flèche d’un icarien lui transperça la jambe.

— NOOOON ! hurla de plus belle Aélig en courant vers Amos. ARRÊTEZ DE VOUS BATTRE, C’EST UN ORDRE !

Le porteur de masques tomba à genoux sur la plage. Heureusement, le masque de la terre inonda la blessure d’Amos d’une épaisse couche de boue.

— NON ! Non ! fit Aélig en se jetant sur son ami. Je suis désolée… Je… Amos…

— Ne t’inquiète pas, lui dit Amos en souriant. J’ai déjà eu beaucoup plus mal ! Ce n’est rien…

— Mais… mais tu es blessé ! s’écria la fille, complètement désemparée.

— Ce n’est rien, assura le garçon en serrant les dents de douleur.

Il retira la flèche de son corps comme s’il s’agissait d’une écharde.

— Tes pouvoirs sont… Ils sont… comment dire ?… divins ! s’émerveilla Aélig. Serais-tu un dieu ?

— Les Phlégéthoniens qui vivent dans les Enfers me louent comme si j’en étais un, fit Amos avec un sourire. Mais rassure-toi, je ne suis pas un dieu et je n’en serai jamais un ! J’ai déjà pris ma décision à ce sujet…

— Mais qui es-tu alors ?

— Je suis un porteur de masques… Mais laisse-moi te retourner la question. Toi, qui es-tu ? Pourquoi ces guerriers t’obéissent-ils ?

Les icariens, déplumés ou complètement trempés, encerclèrent Amos et Aélig.

— Demeurez à distance ! ordonna la jeune fille. Je ne suis pas en danger…

— Mais, princesse…, insista l’un d’eux, c’est un sans-ailes, un impur ! Nos lois sont claires à ce sujet !

— Si vous ne reculez pas immédiatement, je demanderai au sans-ailes de reprendre le combat, menaça l’icarienne, furieuse. Vous avez vu ce qu’il vous a déjà fait ? ALORS ?

L’archer baissa la tête et recula de quelques pas. Les autres l’imitèrent.

— Hum… fit Amos. Si je comprends bien, tu es une princesse ? Pourquoi ne pas me l’avoir dit ?

— Parce que j’avais peur de toi, de ta réaction et de tes intentions. Tu aurais aussi bien pu décider de m’emprisonner pour demander une rançon à mon père !

— Je crois que nous avons encore beaucoup de choses à nous dire. Ce serait bien d’apprendre à mieux se connaître !

— Et un plaisir pour moi de te faire découvrir ma cité, si tu veux bien m’y accompagner.

— À la suite de cette invitation, il y eut un mouvement de malaise dans les rangs des icariens.

— Nos lois sont strictes, princesse, lança l’un d’eux. Et vous connaissez le châtiment réservé à ceux qui désobéissent.

— Ce n’est pas moi qui ai décidé de fermer notre cité aux étrangers, protesta Aélig. Sans ce garçon, je serais morte à l’heure actuelle et vous seriez rentrés les mains vides pour affronter la colère de mon père. Vous êtes responsables de ma sécurité et vous avez failli à votre devoir…

— Mais…, l’interrompit l’un des icariens, vous vous êtes délibérément enfuie du palais ! Que pouvions-nous faire ?

— TAISEZ-VOUS QUAND VOTRE FUTURE REINE PARLE ! s’emporta Aélig. Une princesse a bien le droit de faire des balades dans le ciel quand bon lui semble. Les harpies m’ont enlevée durant ma promenade parce que le royaume était mal sécurisé ! Voilà tout !

— Très bien, pardonnez-moi, vous avez raison…

— Maintenant, comme je viens tout juste d’inviter ce très charmant sans-ailes à visiter la cité de Pégase, j’attends de vous une complète coopération ! Je sais que nos lois interdisent cette pratique et que seuls les elfes sont autorisés à nous rendre visite. Malgré cela, je désire qu’Amos Daragon, ici présent, reçoive une récompense pour sa bravoure et son courage.

Puis, en se retournant vers Amos, Aélig murmura à son intention :

— De plus, je te trouve très mignon et il est hors de question que je t’abandonne ici…

— C’est un mage…, lança timidement l’un des gardes, il vous a ensorcelée !

— Mais qui t’a autorisé à émettre une opinion, toi ? lui demanda Aélig en le dévisageant.

— Je crois que…

— JE ME BALANCE DE CE QUE TU CROIS ! coupa la princesse, de nouveau en colère. Vous n’êtes pas là pour faire des commentaires, mais pour obéir ! Nous partirons demain matin ! Vous monterez la garde toute la nuit et vous confectionnerez un filet de lianes pour transporter mon invité vers la cité…

— Mais non, Aélig, intervint Amos. Ils n’auront qu’à utiliser celui que j’ai déjà fait et qui me sert de refuge.

— Voyez comme il est charmant ! fit Aélig en regardant ses guerriers. Il vous évite même du travail ! Maintenant que vous avez gâché notre dîner, je vais aller dormir. NE TROUBLEZ PAS MON SOMMEIL !

 

***

 

La cité de Pégase était une ville splendide taillée au sommet de la haute montagne des massifs du centre du continent. Dédiée entièrement au culte de Pégase, elle se divisait en trois parties distinctes. Au sud, on trouvait la Ville impériale, le lieu de résidence de la majorité des icariens, et, au nord, la Ville royale, où les nobles, les bourgeois et les familles de sang pur vivaient dans de luxueuses demeures. Au centre, s’élevant à plusieurs mètres au-dessus de la ville, trônait la Ville pourpre, la demeure du roi et de ses sujets. Ces trois enceintes étaient entourées par un gigantesque mur lisse et droit, construit de façon à ce qu’aucun ennemi ne puisse l’escalader. La cité de Pégase était un joyau caché dans les nuages, une perle inaccessible aux sans-ailes.

Durant la nuit qu’ils avaient passée à discuter, Aélig avait raconté à Amos que sa ville comptait environ quarante mille icariens dont plus des deux tiers peuplaient la Ville impériale. Seuls les gens aisés pouvaient se permettre de vivre dans la Ville royale, le prix des habitations y étant très élevé. Quant à la Ville pourpre, réservée exclusivement au roi et à sa cour, très peu d’icariens avaient l’honneur d’y être invités. Il était même interdit de la survoler sous peine d’être abattu en vol.

— C’est dommage que les icariens ne puissent pas la voir, lui avait confié Aélig, car la Ville pourpre est une merveille. Elle est entièrement rouge et or. Il n’y pleut presque jamais et, tous les matins, ce sont les nuages qui déposent une abondante rosée sur les gigantesques jardins du palais du roi. Il y a près de soixante bâtiments dont tous les habitants occupent une fonction auprès de mon père. Je te montrerai ma maison ! C’est l’une des plus belles de la Ville pourpre.

— Mais comment accède-t-on à cette partie de la ville si personne n’a le droit de la survoler ? lui avait demandé Amos.

— C’est simple, nous y accédons par la porte du Midi ! Je t’explique… C’est l’entrée principale de la Ville pourpre, comme une large piste d’atterrissage ! Elle donne sur cinq portes qui mènent à différents endroits, soit au Palais du trône, au Pavillon de lecture, au Temple du culte de Pégase, aux urnes dynastiques et aux résidences royales. Et il y a toujours à cet endroit une impressionnante quantité de soldats !

Amos, les yeux mi-clos, écoutait avec délectation les descriptions d’Aélig. La jeune princesse l’avait recouvert d’une de ses ailes et sa voix, douce et mélodieuse, lui réchauffait l’âme. C’est ainsi qu’Amos avait appris qu’il y avait peu de rues dans la cité de Pégase. Quelques chemins, très étroits et souvent mal entretenus, avaient jadis été construits pour les handicapés réduits à utiliser leurs jambes plutôt que leurs ailes. Mais, heureusement, dans la Ville pourpre, tout se faisait à pied étant donné l’interdiction de la survoler !

Amos apprit aussi que les icariens accordaient beaucoup d’importance à l’art, à la philosophie et aux mathématiques, trois disciplines connexes pour leur culture. La cité de Pégase regorgeait d’artistes et de penseurs, de professeurs et d’intellectuels, d’hommes de lois et de prêtres. Vu son emplacement et sa conception, elle n’avait jamais été menacée par de réels ennemis. Se sentant en sécurité, ses habitants s’étaient naturellement éloignés des métiers de la guerre. Il y avait bien une armée, mais ses soldats étaient peu entraînés et, malgré leur indéniable talent d’archers, ils n’avaient pas dans leurs rangs de grands stratèges militaires ou, dans leur histoire, de grandes batailles historiques à commémorer. De toute évidence, les icariens considéraient les sans-ailes comme des êtres inférieurs, mais ne semblaient pas prêts à mener une guerre contre eux. Ils se contentaient de vivre dans leur cité, tout en minimisant les contacts avec le monde extérieur.

Au dire d’Aélig, la cité de Pégase était un endroit où régnaient la justice et l’ordre. Le roi avait le droit de vie ou de mort sur ses sujets, mais n’en abusait pas. Les prisons de la cité étaient peu peuplées et les icariens se pliaient volontiers aux exigences de la loi et de l’autorité.

— Mais là-haut, avait demandé Amos, intrigué par les descriptions d’Aélig, vous ne pouvez pas faire d’agriculture ou d’élevage ? Que mangez-vous ?

— Mais des sans-ailes ! s’était moqué Aélig. Nous les faisons cuire dans de grandes marmites, mais la plupart du temps nous les dévorons vivants !

— Je comprends mieux pourquoi tu désires que je t’accompagne !

— Sérieusement, nous élevons du poisson dans de gigantesques lacs qui se trouvent au cœur de la montagne et nous cultivons d’innombrables variétés de mousses et de champignons. Nous avons aussi de grands vergers situés sur d’autres montagnes autour de la cité. En plus, nous commerçons avec les korrigans et nous leur achetons du maïs et de grandes quantités de lait et de fromage.

— Les korrigans ?

— Ce sont de petits êtres très laids qui vivent au pied des montagnes. Ils sont sans le moindre intérêt.

Les premières lueurs du jour étaient alors apparues.

— Tu te rends compte, nous avons discuté toute la nuit ! lui avait dit Amos.

— Si je m’en rends compte ? Pas très bien, non ! Le temps passe si vite avec toi… Je te connais à peine et j’ai déjà l’impression d’avoir vécu la moitié de ma vie en ta compagnie.

— Je ressens la même chose, avait avoué le garçon, ému.

— C’est la première fois que ça m’arrive. Je crois être tombée amoureuse de toi…

— Amoureuse d’un sans-ailes ? s’était moqué Amos. Je crois bien que c’est contre vos lois, n’est-ce pas ? J’ai fait de toi une criminelle et ton père va sûrement être très fâché si tu me ramènes dans la Ville pourpre, tu ne crois pas ?

— Je me fiche de ce qu’il pense ! Je suis la prochaine reine qui dirigera la cité de Pégase et je dois commencer à faire valoir mes idées et mes points de vue. Une princesse a bien le droit d’avoir des amis, même s’ils ne sont pas icariens ! Je désire de tout mon cœur que tu m’accompagnes, à moins que tu n’aies d’autres plans.

Amos avait eu d’autres plans, mais ils s’étaient volatilisés dès le premier baiser échangé avec Aélig. Il avait pensé aller à Upsgran dans l’espoir d’y retrouver ses amis, mais il ne pouvait plus maintenant se résigner à partir sans l’icarienne. L’invitation d’Aélig était trop alléchante pour être ignorée. De plus, le garçon avait très envie de visiter la cité et de connaître ses habitants. Il semblait y avoir tant de merveilles qu’Amos se serait trouvé bête de ne pas saisir l’occasion d’y jeter un coup d’œil.

Dans la seconde suivante, il pensa à sa mère, Frilla, et son visage s’assombrit. Il ne l’avait pas revue depuis sa capture par les bonnets-rouges et elle lui manquait terriblement. Que lui était-il arrivé ? Avait-elle réussi à fuir El-Bab ? Amos s’était juré de la retrouver…

« Avant de quitter cet endroit pour la cité de Pégase, se dit-il, je lancerai deux sphères de communication. L’une pour Béorf et l’autre pour ma mère. Même s’ils ne peuvent pas me répondre, ils sauront que je suis vivant et que je vais bien. J’espère seulement qu’elles pourront les atteindre. »

 

La Cité de Pegase
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